Coordination Senne - Journal de la Senne



	Journal de la Senne n° 31 \| juillet 2023

Inondations dans le bassin de la Senne - Entretien avec Alfons Moens

Depuis la régionalisation de la Belgique en 1990, le Port de Bruxelles est responsable du canal sur le territoire de la région de Bruxelles-Capitale. M. Moens était là depuis le début et avait, à cette époque déjà, des années d'expérience dans l'entretien des écluses et des ponts du canal maritime Bruxelles-Escaut à Willebroek en tant qu'ingénieur en électromécanique. Cette expérience lui a été utile le dimanche 14 novembre 2010 vers 5 heures du matin, lorsqu'il a été brusquement réveillé par un coup de téléphone. À ce moment-là, il pleuvait depuis des jours sur tout le bassin de la Senne. Tant la Senne que le canal touchaient à leur limite de capacité de stockage et commençaient à sortir de leur lit à plusieurs endroits en amont, en Wallonie et en Flandre.

Alfons Moens: “Depuis sa création, le Port de Bruxelles dispose d'un service de garde qui est joignable 24 heures sur 24 et 7 jours sur 7, ainsi que d'un plan d'intervention d'urgence qui peut être déployé immédiatement. Ce dimanche-là, le collègue de garde m'a appelé en disant qu'un grand volume d'eau de la Senne s'écoulait dans le canal et que tous les niveaux d'eau étaient en train de monter de manière spectaculaire. Au début, je n'étais pas trop inquiet, car en cas de fortes pluies, il est normal que les eaux de la Senne à Anderlecht se déversent dans le canal via le trop-plein de l'Aa. Cependant, il a précisé que le déversoir de l'Aa fonctionnait au maximum de sa capacité, mais qu'en outre, un grand volume d'eau de la Senne s'écoulait également par voie terrestre vers le canal. A ce moment-là, j'ai su que quelque chose ne se passait pas normalement.”

Déversoir d’Aa: après précipitations intenses © Port de Bruxelles

Arrivé à Bruxelles, il constate que c'est à l'écluse de Molenbeek que la situation semblait la plus alarmante: tout le périmètre de l'écluse a commencé à être inondé vers 8 heures du matin. Toutes les écluses du canal de la Senne sont équipées d’ 'aqueducs de contournement'. Il s'agit de conduits situés à côté de l'écluse, par lesquels l'eau excédentaire peut être rapidement évacuée, de sorte que le niveau d'eau dans chaque tronçon du canal reste toujours le même. Le volume d'eau qui les traverse est contrôlé par ce que l'on appelle des 'clapets'. Après consultation du capitaine du Port, il s'est avéré que la capacité maximale de ces aqueducs avait été atteinte et que l'éclusier était déjà en train d’effectuer, selon la procédure prévue à cet effet, de 'faux versements' (chaque versement permettant d'amener plus de 4.500 m³ d'eau dans le tronçon inférieur) pour envoyer le plus d'eau possible à travers Bruxelles en direction de l'Escaut.

Ecluse d’Anderlecht – 3 aquéducs de contournement -
cap. max. 90 m³/s © Port de Bruxelles

Alfons Moens: "Tout à coup, les choses se sont passées à la vitesse de l'éclair. En à peine 5 minutes tout était sous l'eau, on aurait dit un tsunami. À ce moment-là, on avait épuisé toutes les procédures existantes et, en tant que chef de la cellule de crise, j'ai pris quelques décisions urgentes, tout en assumant les responsabilités connexes. Grâce à mon expérience pratique des circuits électriques et électroniques des écluses, je savais qu'il nous restait une ultime possibilité d'évacuer l'eau plus rapidement, qui consistait à désactiver certains systèmes de sécurité automatiques, ce qui nous permettrait d’évacuer l'eau à travers l'écluse-même. Si nous ne faisions pas cela nous risquions d’inonder toutes les boîtes à fusibles et les conséquences en termes de risques d'inondation et de dégâts matériels auraient été beaucoup plus importantes. Après concertation avec nos collègues flamands, nous avons réussi à faire passer de l'eau supplémentaire et à faire baisser plus rapidement les niveaux de la Senne et du canal, même en amont en Flandre et en Wallonie."

Circonstances exceptionnelles du 14 novembre 2010 – écluse
de Molenbeek 14/11/2010 - 08:05 © Port de Bruxelles

Le fait de laisser passer beaucoup d'eau par Bruxelles peut à son tour affecter la situation en aval. Si l'ensemble du système de gestion des eaux de la Senne et du canal est conçu pour déverser de grandes quantités d'eau dans l'Escaut, cela n’est pas possible lors des plus grandes marées car le niveau d'eau de l'Escaut est alors plus élevé que celui du canal. En outre, le dernier tronçon du canal est alimenté par deux ruisseaux (le Vliet et le Zielbeek), ainsi que par quelques déversoirs. Pour éviter des inondations à Willebroek, il a donc été décidé - de concert avec nos collègues flamands - de repomper temporairement de l'eau vers Bruxelles.

Alfons Moens: "Tout le monde ne le sait pas ou ne le comprend pas, mais outre la navigation, le canal a donc un rôle élémentaire à jouer dans la gestion de l'eau de toute la vallée de la Senne. Sans le canal, toute la ville basse de Bruxelles serait extrêmement vulnérable aux inondations! La connaissance de l'ensemble du système hydrique au-delà des frontières régionales et les accords de coopération entre les régions sont d’une importance primordiale. Dans ce contexte, les réunions entre partenaires sont nécessaires pour forger des liens personnels entre les décideurs, ce qui est indispensable pour pouvoir agir rapidement et en toute confiance en cas d'urgence. Je pense également qu'il est très important que la connaissance des installations critiques telles que les complexes d'écluses soit conservée en interne et que les procédures d'urgence soient répétées à plusieurs reprises par les personnes concernées afin d'être aussi bien préparées que possible."

Les inondations de novembre 2010 dans le bassin de la Senne, qui ont causé des dégâts chiffrés à des dizaines de millions d'euros, étaient en effet un événement très exceptionnel dont les gestionnaires de l'eau des 3 régions ont tiré de nombreuses leçons. Par la suite, Alfons Moens a adapté les procédures d'urgence du Port de Bruxelles en fonction de l'expérience acquise, mais – dans son rapport de fin de mandat en tant que directeur général du Port de Bruxelles – il a également souligné, au printemps 2021, qu’à la lumière du changement climatique les défis concernant la gestion de l'eau devaient être traités en priorité (ces paroles se sont avérées prophétiques, quelques semaines avant les inondations de l'été 2021).

Quelle était et quelle est la vulnérabilité de la ville basse de Bruxelles face aux inondations?
Alfons Moens: "Ce 14 novembre 2010, j’étais effectivement inquiet pour les installations électriques de l'écluse de Molenbeek, mais sinon, lors des conseils de crise avec les bourgmestres et les gouverneurs, j'ai indiqué qu'il n'y avait pas de risque que le canal déborde dans les zones résidentielles, les tunnels du métro ou les tunnels automobiles à Bruxelles. Des évacuations comme celle de Tubize n’étaient pas nécessaires à Bruxelles, car la capacité tampon du canal est très grande et le canal est idéalement situé pour éviter ce genre de situation.
Les procédures renouvelées depuis 2010 sont un moyen supplémentaire de mieux protéger l'ensemble de la vallée de la Senne en cas de précipitations excessives. De plus, nous disposons désormais de beaucoup plus de données de mesure en temps réel sur les niveaux d'eau, les précipitations, etc. (télémétrie). Cela permet d'anticiper en abaissant le niveau d'eau dans le canal avant l'arrivée des gros volumes. En définitive, la probabilité d'inondation dans la zone du canal de Bruxelles est extrêmement faible mais la Région bruxelloise a un rôle important à jouer dans la gestion des inondations de l'ensemble du bassin de la Senne ."

Merci à Alfons Moens, bien plus 'passionné' que 'pensionné', pour cet entretien agréable, nourri de connaissances et d'expériences pures.

Juillet 2023 - Coordination Senne


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