Journal de la Senne n° 31 | juillet 2023
   
  Les sources bruxelloises: un patrimoine à protéger

Source du Vuylbeek (Boitsfort) © H. Welens
Les sources constituent un petit patrimoine bleu discret. Elles alimentent nos cours d’eau et nos étangs, qui rafraichissent et embellissent divers quartiers de Bruxelles. Par le passé, elles jouaient aussi un rôle social important, comme point de ravitaillement en eau pour la population, et parfois comme lieu de dévotion. Les sources sont par nature fragiles, pouvant disparaître rapidement à la suite d’un simple coup de pelleteuse. Au cours des deux derniers siècles, l’urbanisation bruxelloise a fait disparaitre nombre de ces sources. Afin de préserver ce patrimoine peu connu du public, Coordination Senne œuvre de diverses façons, notamment par le biais d’un inventaire précis qui a permis de répertorier, à ce jour, plus de 200 sources en Région bruxelloise.

Source à Auderghem
Les sources au cours du temps

Une source est l’endroit où l’eau sort naturellement de terre, en provenance d’un aquifère (c-à-d la roche réservoir contenant l’eau souterraine). Cet aquifère est lui-même alimenté par l’eau de la pluie qui s’infiltre dans le sol. La durée du parcours souterrain de cette eau, avant de réapparaitre à l’air libre sous la forme d’une source, peut varier de quelques jours... à plusieurs siècles! On trouve généralement ces sources dans les fonds de vallée, à proximité des cours d’eau, des étangs, ou encore des marais qu’elles alimentent. Ceux-ci, qui constituent une part importante de ce que l’on appelle le maillage bleu, leur doivent donc leur existence.

Durant des siècles, les sources furent également, avec les puits, le seul point de ravitaillement en eau de qualité pour les bruxellois. A partir du Moyen-Age, des canalisations furent installées pour mieux capter et acheminer cette eau vers des lieux habités. Les premiers réseaux d’adduction importants furent l’œuvre des communautés monastiques (abbayes de Forest, Notre-Dame de la Cambre,...). A Saint-Gilles, les sources du Elsbeek

Fontaine Sainte-Anne (Laeken) © A. Mellas
furent assez tôt captées et acheminées via des conduites pour alimenter des fontaines publiques du pentagone bruxellois. Au début du 17
ème siècle, l’eau des sources du Broebelaer (Etterbeek) sera acheminée et pompée jusqu’au palais du Coudenberg! Certaines sources, consacrée à un saint patron, remplissaient aussi un rôle dans le cadre de la dévotion religieuse. Pensons à la fontaine Saint-Guidon (Anderlecht), à la source Sainte-Gertrude (Molenbeek-St-Jean), à la fontaine Sainte-Anne (Laeken) ou encore à la source Saint-Landry (Neder-Over-Heembeek), dont les eaux avaient la réputation de guérir les maux les plus divers.

Au milieu du 19ème siècle, l’utilisation de ces sources comme source d’eau potable sera progressivement abandonnée, lorsque se mettra en place un réseau de distribution d’eau plus moderne qui acheminera l’eau jusque dans nos maisons. Les sources tomberont alors, petit à petit, dans l’oubli. De son côté, l’urbanisation galopante aux 19
ème, 20ème et 21ème siècles aura pour conséquence la disparition d’une grande partie de ces sources, englouties sous les voiries, les immeubles divers ou encore les parkings.

Un inventaire nécessaire

Visite Retour aux sources (Schaerbeek)
En 2015, Hans Welens attira notre attention sur le fait que la carte Bruxelles Ville d’eau, éditée par l’administration régionale, ne mentionnait que 21 sources, alors que lui-même en connaissait d’avantage. Sous son impulsion et avec sa collaboration, Coordination Senne démarra un travail important afin de faire connaître ce petit patrimoine bleu aux gestionnaires et au grand public, pour qu’il puisse bénéficier d’une reconnaissance et d’une certaine protection. Ce travail, notre association l’effectue par des actions diverses: de la recherche (via d’anciennes cartes, des documents, des rencontres, du terrain), des visites guidées Retour aux sources réunissant le grand public et divers intervenants, un travail d’inventaire conséquent, le développement de circuits de promenade, ou encore la réalisation d’une base de donnée (textes, cartes, photos, vidéos) disponible sur notre site internet.

Inventaire de terrain à Uccle
Fort d’un important travail préparatoire, nous parcourûmes, entre 2020 et 2022, les vallées bruxelloises afin de localiser ces sources avec précision, à l’aide d’un GPS. Nous pûmes compter pour cela sur l’aide précieuse et régulière de Hans, mais aussi d’Abdessamad Mellas, deux collaborateurs bénévoles passionnés. Les conseils et l’aide de Bruxelles Environnement, de fonctionnaires communaux, d’habitants ou encore d’associations locales contribuèrent également à la bonne réalisation de cet inventaire. Au total, nous avons pu identifier, à ce jour, plus de 200 sources. Si ce chiffre peut paraître important, il est évidemment bien en deçà du nombre de sources que comptait jadis la Région bruxelloise. Nous avons ensuite transmis les données de localisation de ces sources à Bruxelles Environnement qui, ce printemps, a achevé de les replacer sur ses outils cartographiques.

Source du Keelbeek (Haren) © H. Welens
Si la majorité des sources inventoriées occupent des zones vertes encore préservées, et pour certaines protégées, plusieurs sources se trouvent aussi dans des endroits urbanisés: la cour d’une école, un parking souterrain, une voirie, un garage ou encore au pied d'une chapelle. Dans les zones constructibles, les sources restent menacées. Récemment, la source du Keelbeek à Haren a été engloutie sous la nouvelle prison, et la source du Calvaire à Forest a été considérablement dégradée par la construction d’appartements. Notons aussi que même si la qualité de l’eau de ces sources est généralement bonne, Bruxelles Environnement (préférant ne pas prendre de risque) considère que leur eau est impropre à la consommation. En effet, dans des lieux plus urbanisés, les aquifères et donc l’eau des sources qu’ils alimentent peuvent parfois être en partie contaminés par des pollutions industrielles anciennes ou encore par des fuites dans le réseau d’égouts.

A côté de ces sources existantes, nous avons également recensé plus de 50 sources disparues. Si elles ne sont plus visibles, englouties par l’urbanisation, l’eau de certaines d’entre elles est probablement toujours présente sous la terre. Le souvenir de ces sources se perpétue aussi dans la toponymie locale: rue de la Source à Saint-Gilles, rue Heiligenborre à Boitsfort, ou encore école de la Source à Evere.

Protection et revalorisation

La reconnaissance de ces sources sur les outils cartographiques de Bruxelles Environnement constitue évidemment un grand pas en avant. Mais il faut aussi signaler qu’actuellement peu de sources bruxelloises bénéficient d’une protection juridique. Seules les sources qui sont le point de départ d’un ruisseau ou d'une rivière repris à l’Atlas des cours d’eau et celles qui constituent des points de surveillance de l’état qualitatif et quantitatif des eaux souterraines bénéficient d’une protection.

Source du Doolegt (Evere) © H. Welens
Nous avons aussi fait le constat que l’eau d’un tiers des sources inventoriées finit directement ou indirectement (via le trop plein d’un étang par ex.) sa course dans un égout, où cette eau claire n’a évidemment rien à faire. Un autre enjeu est celui de l’alimentation des sources par les nappes d’eau souterraine. En raison de l’imperméabilisation continue des sols, résultat d’une urbanisation galopante, on observe, en Région bruxelloise, un abaissement progressif du niveau des nappes, avec pour conséquence une diminution du débit de certaines sources, voire pour l’une ou l’autre un danger de tarissement et donc de disparition. Enfin, si les projets immobiliers restent évidemment une menace constante, la fréquentation d’une zone de sources par des promeneurs, par le piétinement, peut aussi contribuer à dégrader celles-ci.

Source St-Landry (Neder-Over-Heembeek) © J.C. Leerschool
A côté de Bruxelles Environnement, qui restaure progressivement le maillage bleu dans les espaces verts dont elle a la gestion, d’autres acteurs se sont aussi investis ces dernières années. Des communes bruxelloises ont ainsi entrepris de préserver, restaurer et valoriser certaines de leurs sources situées dans un milieu urbanisé. La commune d’Anderlecht a par exemple redirigé l’eau de deux sources vers le Neerpedebeek (leur eau s’en allait à l’égout). La commune d’Uccle travaille également sur de telles reconnexions avec le maillage bleu. La commune de Forest a elle entamé un projet de remise à ciel ouvert de trois sources disparues. A Saint-Gilles, les sources du Elsbeek font également l’objet de beaucoup d’attention. A Neder-Over-Heembeek enfin, la source Saint-Landry, délaissée au fond d’un bois privé, a été aménagée et mise en valeur par la Ferme Nos Pilifs. Plus récemment, via un appel à projet du Maître architecte/Bouwmeester, trois jeunes urbanistes ont démarré un projet visant à protéger et revaloriser des sources dont la situation reste précaire. Ajoutons à cela diverses actions visant, dans des zones très urbanisées, à permettre à l’eau de pluie de pouvoir à nouveau s’infiltrer dans le sol, via par exemple des jardins de pluie.

Pour l’avenir, Coordination Senne souhaite que de tels projets de restauration se poursuivent, avec une eau de source qui doit autant que possible à nouveau alimenter le maillage bleu. Et quand ce maillage bleu fait défaut dans des quartiers fortement construits, pourquoi ne pas envisager la création de petites rivières urbaines, à l’instar de ce qui a été réalisé il y a quelques années dans le centre-ville d’Aix-la-Chapelle?

Juillet 2023 - Coordination Senne
Rivière urbaine à Aix-la-Chapelle (vidéo): Der Johannisbach kommt ans Licht - YouTube
   
 
 

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